En 2006, le - tout relatif !... - insuccès de l'équipe Morvan-Munuera incita l’Éditeur à envisager leur remplacement sans... rééditer (!) les errements ayant poussé Fournier à se retirer. Surgit alors l'idée de créer une série parallèle comme banc d'essai de nouveaux talents susceptibles de reprendre en mains la série principale. La nouvelle série, Une Aventure de Spirou & Fantasio par..., vue l'urgence du problème de succession, se développa tel un... champignon : 6 albums en 4 ans ! Elle remplit parfaitement son rôle, puisque ses premiers contributeurs, Yoann et Vehlmann, furent choisis pour reprendre la série-mère - avec un graphisme plus "classique" cependant.
Ces derniers donnant totale satisfaction - et nous sommes ici de leurs plus chauds partisans ! - l'objectif premier évolua : l'on offrait dorénavant à divers auteurs de s'exprimer sur Spirou & Fantasio le temps d'un album (point de vue de Chaland réalisant Cœurs d'acier, si brutalement interrompu par de sombre luttes éditoriales internes...) Accessoirement, l'on pouvait ainsi compenser la frustration de certains recalés déçus de ne pas s'être vus confier la destinée de Spirou et Fantasio, en leur proposant de publier une Aventure de leur cru, avec moins de contraintes que sur la série principale, au plan du dessin notamment.
Ultérieurement, le succès de certains titres encouragea l’Éditeur à l'exploiter en le prolongeant sur plusieurs tomes...
En y réfléchissant, il semble que le premier ouaneshote à s'écarter visiblement du concept originel est le Journal d'un Ingénu, qui l'a regrettablement infléchi en abandonnant l'idée d'Une Aventure de Spirou par... pour le transformer avant la lettre en Le Spirou de... : le ou les auteurs ne réalisent plus une Aventure à leur manière, mais inventent, en quelque sorte, un nouveau Spirou (au sens du personnage) de leur façon...
L'indéniable qualité intrinsèque du Journal... a en effet masqué l'essentiel pour nous, spiroutistes : cet album tant prôné a réussi le tour de force de défigurer (... risquons le terme !) SPIROU & FANTASIO, série d'Aventures riantes, parées de coloris chatoyants, où l'humour affleure ou éclate presque à chaque page... Tout l'opposé du Bravo, complaisant, misérabiliste, moraliste : la guerre, du mélo à foison, un Fantasio qui y est quasi sa propre antithèse (comme dans le récent Féroumont, avec une autre vision), une absence de drôlerie, le tout "relevé" (si l'on ose dire...) de couleurs sinistres... Ce n'est plus Spirou, mais Cosette !...
(précisons encore, si besoin, qu'il ne s'agit en aucun cas d'une critique de l'album "en tant que tel", mais en tant qu'Aventure de Spirou & Fantasio...)
En accordant ainsi trop de liberté aux auteurs, Dupuis tombe dans le piège des comics, où chaque nouvel auteur en use à sa guise, déformant les caractères, réinventant le passé, voire modifiant les fondamentaux ! Dès lors, le risque est grand de voir de tels albums se séparer de la longue lignée des titres de la série principale... Pour quel résultat tangible (ces novations n’apportant généralement rien au récit), hors satisfaire l'ego de leurs auteurs ?!...
Le point de vue actuel sur les Spirou parallèles semble - malheureusement ! - devoir être corroboré par le projet Ptirou de Verron et Sente - excellent en soi, la question n'est pas là - mais qui sera publié comme Spirou de... alors même que le héros (Ptirou) n'en sera pas même Spirou, mais son prototype, dont le sort tragique marqua profondément Rob-Vel...
Car SPIROU ne se réduit pas uniquement au personnage : il est consubstantiel à un univers, qui lui confère sa spécificité (par rapport aux autres séries de BD), et qui permet de l'identifier en tant que tel. SPIROU, c'est Spirou et son univers, le contexte dans lequel il évolue. Transformez cet univers, ce n'est plus SPIROU...
Notre propre souhait serait donc que l'on revienne à l'essence de l'approche initiale : permettre à des auteurs de mettre leur talent au service d'une Aventure de Spirou & Fantasio originale, en leur donnant carte blanche au plan graphique - là serait leur apport personnel ! - qui puisse chronologiquement s'intercaler n'importe où dans la série de manière cohérente... Mais leur imposer de respecter l'esprit, les codes, les caractères, tous les acquis, en un mot, de la Série, afin qu'ils l'enrichissent par une oeuvre, d'un style particulier si l'on veut, mais qui en magnifie la longue et prestigieuse histoire...
... Comme, au XVIIIème siècle, le Théâtre Italien jouait des pièces d'auteurs divers - mettant en scènes les personnages récurrents de la comédie italienne : Arlequin, Pierrot, Colombine, Polichinelle... - qui en respectaient toutes le caractère propre...
(article réalisé sous l'inspiration, et à partir de quelques contributions récentes, particulièrement pertinentes, sur certains forums bien connus)
